Publié le par DAN
Tout, ou presque, a été dit à propos de la fin du casino Marie-Christine, mais certains détails sont absents des livres d'histoire, aussi je vous propose un récit inédit de la fin de ce bâtiment prestigieux, raconté par Alexandre Boucher-Baudard, l'arrière petit-fils du dernier directeur de cet établissement, Marcel Baudard. Ce témoignage précieux nous offre une plongée fascinante dans un monde révolu qui fut, pour beaucoup, synonyme d'excitation et de glamour.
Son témoignage est basé sur les nombreux documents qu'il a pu recueillir, soit aux archives municipales du Havre, mais le plus souvent dans ses propres dossiers familiaux, où se mêlent anecdotes, souvenirs et des photographies qui capturent l’essence d’une époque désormais disparue. Cet article peut paraître un peu long, mais cette mise au point est nécessaire pour comprendre la complexité du dossier, car chaque fragment de son récit aborde des dimensions variées de cet établissement mythique.
Sources :
AMH / A.B. Baudard / DAN.
Le casino après le bombardement de 1940. (coll particulière)
Je laisse la parole à Alexandre, car son point de vue est indispensable pour appréhender la tragédie de cette fin :
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Alexandre Boucher-Baudard :
- À la Libération, le casino est en partie en ruine, une ombre de son ancien éclat. L'aile nord a souffert des bombardements de 1940, le dôme pend dans le vide comme un symbole de la perte d'un lieu de joies et de festins. Seules deux salles de jeux, le café-dancing et les bureaux sont encore debouts, mais tout respire l'abandon et la mélancolie.
Les dégâts de la partie nord bien visibles sur ce détail de carte postale. (coll DAN)
Fin 1945, un programme de restauration en 3 étapes est élaboré, une lueur d'espoir pour ceux qui croyaient en une renaissance.
La première phase vise à remettre en état les salles qui ont peu souffert de la guerre, tandis que la deuxième consiste à réparer la terrasse, les galeries et la grande salle des fêtes qui avaient vu tant de soirées enflammées de joie et de danse.
La dernière phase, qui est si essentielle, doit permettre la reconstruction du théâtre et du grand hall, car sans ces éléments, l'âme du casino serait perdue à jamais.
Début 1946, les travaux commencent sans l'accord de l'administration ni les fonds des dommages de guerre. Le financement est alors assuré par un emprunt personnel du directeur qu'il relate dans le "Havre Libre" :
« j'ai pris une décision sans doute un peu hardie, celle de reconstruire le casino sans pour l'instant me préoccuper des formalités administratives, sauf, bien entendu l'accord des services intéressés qui m'a d'ailleurs été aimablement accordé. Car, en définitive, c'est un peu du prestige de la ville qu'il s'agit et aussi de ses finances ». Cela démontre bien l'attachement du directeur à cet établissement phare qui faisait la fierté de la communauté.
Marcel Baudard, le dernier directeur du casino Marie-Christine.
(photo collection A. B. Baudard.)
En 1948, des fonds sont demandés pour permettre le lancement de la dernière tranche des travaux pour les casinos du Havre et d'Étretat. Seul un accord pour celui d'Étretat est donné, laissant le casino du Havre dans une impasse.
Sans le soutien financier espéré, le chantier du Marie-Christine s'arrête en juillet 1948. Le rêve de renaissance commence à s'effriter, laissant place à l'amertume.
Après six ans d'immobilisme, une nouvelle demande de financement est faite en 1954 pour l'achèvement des travaux au Havre et à Étretat. Un accord est donné pour Etretat (38.000.000 frs en dommage de guerre). Cependant, l'opposition pour le casino du Havre se fait de plus en plus forte, avec les fonds bloqués par l'administration qui semble avoir abandonné l'idée de sauver ce monument cher aux cœurs des havrais.
A l'été 1956, le casino d'Étretat est inauguré dans une ambiance festive alors qu’au Havre, le statut quo persiste dans la désolation. Face à cette situation, le directeur, avec courage et détermination, va lancer un projet d'un autre casino sur le terre-plein de la plage, une initiative qui, à ses yeux, pourrait avoir plus la faveur du ministère de la reconstruction. Ce projet, bien qu'ambitieux, ne pourra jamais remplacer le flamboiement passé du Marie-Christine.
Le terre-plein de la plage au moment de la reconstruction, le casino est désigné par la flèche rouge. (Coll DAN)
Avec l'étude de ce nouveau projet, la boîte de Pandore est ouverte, en effet, l'emplacement exceptionnel du casino Marie-Christine attire l'avidité des promoteurs immobiliers, qui voient en lui une opportunité en or pour construire des complexes modernes, au détriment de l'héritage culturel.
Néanmoins, en 1957, le ré-aménagement du cabaret "le Régent" dans la rotonde nord est réalisé, un clin d’œil nostalgique aux soirées passées. Les travaux sont financés par le casino et par les deniers personnels du directeur, mais avec la désapprobation de la municipalité qui aurait voulu que ces fonds soient uniquement utilisés pour la construction d'un nouveau casino, soulignant ainsi le conflit entre le devoir de mémoire et la nécessité de modernisation.
Le cabaret le régent (Photo collection A.B.Baudard).
En mai 1959, la mairie annonce que le projet du nouveau casino est impossible à réaliser, un coup dur pour tous ceux qui espéraient un retour du grand jeu. Au mois de juillet, sans aucune solution de rechange, le directeur se résout à signer un compromis de vente avec le CRIC, entraînant ainsi la perte définitive de cet établissement emblématique.
Le projet du Ponant est adopté en conseil municipal le 30 novembre, et l'acte de vente du casino est signé le 4 janvier 1960, scellant le sort du Marie-Christine. Marcel Baudard décède le 25 février à l'âge de 75 ans, sans avoir trouvé un local de remplacement pour son établissement, et l'abandon devient total.
L'aile sud est détruite en dernier, permettant ainsi le fonctionnement des jeux jusqu'au 21 juin 1960. Passé cette date, le chantier du "Ponant" peut démarrer, marquant ainsi la fin d'un chapitre glorieux dans l'histoire du casino.
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Quelques extraits de la presse havraise de l'époque :
Extrait du conseil municipal. Sans commentaire...
Extrait de la presse de l'époque (1960) la légende dit ceci :
Le campanile tel qu'il était demeuré hier soir après les vains efforts des démolisseurs. Dans le cercle le câble attaché à la poutre ; à l'extrémité de la flèche un ouvrier découpant celle-ci au chalumeau.
Mais dès le lendemain........
Le lendemain le dôme tombe de lui-même, comme si le bâtiment lui-même avait décidé de pleurer la perte de son existence.
Le "Ponant" en superposition, dans les mêmes proportions, sur le casino, un symbole du renouveau qui ne peut cependant remplacer ce qui a été perdu.
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Merci à Alexandre pour son remarquable travail de recherches et merci à tous de votre visite.