À Campione, le plus grand casino d’Europe a fait faillite. Ses près de 2000 habitants, dont c’était la principale source de revenu, sont aux abois. Rome tente de trouver une solution.

Rien ne va plus à Campione d'Italia! L'enclave italienne de 1 km², nichée sur les rives du splendide lac de Lugano, est plongée dans un véritable cauchemar financier suite à la faillite de son casino emblématique, jadis le plus grand d'Europe et pilier économique de la région. "SOS - Campione is dead", se dessine sur une banderole tragique, brandie devant l'imposant casino municipal, un cube monumental de dix étages. "Rien ne va plus", affirme une autre banderole, accrochée à une tente érigée par les syndicats représentant les 500 employés du casino, tous désormais licenciés, laissant la communauté dans une détresse palpable. Francesco Padula, un des employés ayant dédié plus de 35 ans de sa vie à cet établissement, explique que la faillite découle d'une "mauvaise gestion" conjuguée à une chute vertigineuse des recettes, tout en continuant à supporter une masse salariale disproportionnée.

La justice locale italienne avait ordonné en juillet 2018 la fermeture de ce temple du jeu, visible à des kilomètres à la ronde, car il ne parvenait plus à couvrir les dépenses de la commune. Cependant, un tribunal de Milan a récemment invalidé cette décision pour vice de procédure, réouvrant ainsi le dossier à des perspectives incertaines.

Campione, un havre fiscal

En début avril, le gouvernement romain a dépêché un expert pour évaluer la possibilité de sauver le casino municipal. L'avenir de cet établissement emblématique semble cependant bien sombre étant donné qu'il est actuellement impossible d'intégrer des investisseurs privés au capital. "Il faudrait pour cela changer la loi", précise Vincenzo Falanga, un syndicaliste investi dans la lutte pour la survie de la ville. Pendant ce temps, des centaines de machines à sous, désormais plongées dans l'obscurité, attendent leur éventuelle résurrection, tout comme les 1.961 âmes résidant dans cette enclave.

À l'origine de cette enclave singulière, on retrouve Totone, un riche commerçant qui, en 777, fit don de Campione - devenue Campione d'Italia sous Mussolini - au monastère de Saint-Ambroise de Milan, un territoire rattaché à l'Italie en 1797. Ce village aux ruelles pittoresques, entouré de collines parées de cyprès et de palmiers, offre une vue imprenable sur le lac.

Le statut de cette enclave italienne, isolée dans le sud de la Suisse à seulement 23 km de l'Italie, est unique. Ses résidents paient leurs impôts en Italie, tout en étant soumis à la vie quotidienne suisse: le coût de la vie, la monnaie, les plaques d'immatriculation, les services d'urgence, les lignes téléphoniques et même le ramassage des ordures sont tous d'origine suisse. Campione est ainsi devenu un véritable havre fiscal, exempt de TVA, et ses habitants profitent de réductions d'impôts compensatoires liées à leur niveau de vie élevé.

Un des quatre casinos autorisés en Italie

Campione possède également le privilège, partagé avec Venise, San Remo et Saint-Vincent (vallée d'Aoste), d'être l'un des quatre casinos autorisés en Italie. Un premier établissement de jeux y fut ouvert en 1917, pendant deux ans, utilisé pour des activités d'espionnage, selon les archives touristiques. Il rouvrit en 1933, conformément à un décret toujours en vigueur, stipulant que ses revenus devaient couvrir les dépenses de la commune. Après avoir été fermé durant la Seconde Guerre mondiale, il a contribué à la prospérité de Campione pendant plusieurs décennies.

"Celui qui avait la chance de naître ici pouvait espérer un emploi. Au sortir des études et du service militaire, on retrouvait ses camarades d'école", se remémore avec nostalgie Fiorenzo Dorigo, un employé qui a œuvré pendant 21 ans au casino. Cependant, Campione a voulu voir grand, trop grand, selon certains. En 2007, après sept longues années de travaux, un nouveau casino flambant neuf a émergé de terre, façonné par l'architecte suisse renommé Mario Botta, accueillant jusqu'à 3.100 joueurs. Malheureusement, la légalisation des machines à sous dans les bars et restaurants, l'émergence des jeux de hasard en ligne et la montée en force du franc suisse face à l'euro ont lourdement pesé sur les finances de l'établissement. Parallèlement, l'ouverture de trois casinos suisses, situés à quelques dizaines de kilomètres de Campione dans les années 2000, a aggravé la situation. Dès 2008, les revenus ont commencé à s'effondrer, et pour beaucoup d'observateurs, la faillite semblait inévitable. La démission du maire a poussé Rome à dépêcher un "commissaire", Giorgio Zanzi, qui rappelle que "Campione n'a pas connu de situation aussi difficile depuis la guerre".

Aucun candidat aux municipales

Des organisations d'entraide suisses et italiennes acheminent trois fois par mois de l'aide alimentaire et des produits de première nécessité. Le jardin d'enfants a dû fermer ses portes, tandis que l'office du tourisme semble suivre le même chemin. La mairie, quant à elle, ne peut plus se permettre d'acheter du fioul pour le chauffage, et les 86 fonctionnaires de la commune n'ont pas été payés depuis février 2018. Les dettes cumulées du casino et de la commune atteignent des sommets, montant à plusieurs dizaines de milliers d'euros, comme l'indique Giorgio Zanzi, qui conserve l'espoir d'un éventuel sauvetage du casino.

Les conséquences de ce marasme sont lourdes : la commune n'a reçu aucune candidature pour les élections municipales prévues, qui, comme ailleurs en Italie, ont été annulées. "Campione est italienne. L'Italie ne doit pas l'abandonner, elle doit mettre en œuvre toutes les initiatives possibles", déclare Vincenzo Falanga, appelant à un investissement dans le tourisme ou les nouvelles technologies, et à la création d'une fiscalité avantageuse pour les entreprises. Les idées fusent pour tenter de sauver l'enclave. "Il faut que le gouvernement italien prenne ses responsabilités", s'impatiente Bernard Liechti, un Suisse engagé dans la distribution de l'aide.

D'autant plus qu'un autre défi se profile à l'horizon : dès 2020, le village fera son entrée dans le territoire douanier de l'UE, un changement impulsé par Rome. Les habitants craignent que ces nouvelles réglementations douanières n'entraînent une interruption des services fournis par la Suisse. À Berne, les autorités ont précisé que "des discussions avec l'Italie concernant la mise en œuvre pratique des nouvelles dispositions sont en cours". Campione est "un petit territoire mais avec de gros problèmes", soupire Giorgio Zanzi, témoignant d'une situation d'urgence qui nécessite une action immédiate.

(source : bfmtv.com/N.G. avec AFP)